THÉ PAS DANSANT !

Publié le par Captain Nemo

LA LA LAND (2016) réalisé par Damien Chazelle avec Emma Stone, Ryan Gosling, John Legend et J. K. Simmons.

THÉ PAS DANSANT !

Le brief : Au cœur de Los Angeles, une actrice en devenir prénommée Mia sert des cafés entre deux auditions. De son côté, Sebastian, passionné de jazz, joue du piano dans des clubs miteux pour assurer sa subsistance. Tous deux sont bien loin de la vie rêvée à laquelle ils aspirent…Le destin va réunir ces doux rêveurs, mais leur coup de foudre résistera-t-il aux tentations, aux déceptions, et à la vie trépidante d’Hollywood ?

Bande-annonce :

Le débrief : Deux ans après le fabuleux Whiplash, c’est peu dire qu’était particulièrement attendu le nouveau film du tout jeune (et prometteur) Damien Chazelle (fils du mathématicien Bernard Chazelle, un des pionniers de la géométrie algorithmique). Une attente encore renforcée par une campagne marketing agressivement élogieuse (à coup de slogans grandiloquents placardés sur ses affiches : « Une réussite absolue », « Le meilleur film de l’année »…) et par sa position de grand favori des prochains Oscars (14 nominations parmi lesquelles meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur actrice et meilleure chanson… de sorte que le film égale ainsi le record établi par Eve de Joseph L. Mankiewicz en 1951 et Titanic de James Cameron en 1997). Alors que vaut le chef d’œuvre annoncé ?

« Tu la sens ma grosse promo ? » (WARNER)
« Tu la sens ma grosse promo ? » (WARNER)

« Tu la sens ma grosse promo ? » (WARNER)

Réponse mitigée face à cette histoire d'amour en quatre saisons ! Damien Chazelle signe un hommage sans réserve et étincelant (clinquant ?) à l’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne et, en cinéaste-cinéphile, paye son tribut à grand coup de références appuyées à tous les classiques du genre : Le danseur du Dessus (1935) de Mark Sandrich (1935), Chantons sous la pluie (1952) de Stanley Donen, Un américain à Paris (1951) et Tous en scène (1953) de Vincente Minnelli, New York, New York (1977) de Martin Scorsese, Coup de Cœur (1982) de Francis Ford Coppola mais également aux films mythiques de Jacques Demy : Les Parapluies de Cherboug (1964), Les Demoiselles de Rochefort (1967) et Une Chambre en Ville (1982). Mais sous son vernis de fétichisme rétro (coucou l’immense portrait d’Ingrid Bergman ornant la chambre de Mia), La La Land demeure une œuvre résolument moderne, presque hors du temps, qui interroge sans ménagement le rapport de son réalisateur au genre, à l’image de son héros tourmenté, puriste obsédé de classicisme et pourtant si désireux de séduire un public contemporain. Et à maintes reprises, le présent vient se rappeler à des protagonistes qui semblent n’avoir de cesse de le fuir : une sonnerie d’iPhone qui met fin à leur rêverie nocturne sur les hauteurs de la ville, une pellicule qui prend feu en pleine projection de La Fureur de Vivre (1955) au Rialto Theatre de South Pasadena, vieux cinéma mythique de Los Angeles (en réalité fermé depuis 2010)… Constamment, inlassablement, amèrement, le réel refait ainsi surface, surgit dans l’imaginaire, dans cette usine à rêves (mais aussi à désillusions) qu’est Hollywood (Hollywoodland à l’origine), dans ce pays magique de La La Land (en anglais l’expression « to be in La La Land » signifie avoir la tête dans les nuages).

THÉ PAS DANSANT !

« C'est sans doute Demy qui m'a le plus influencé, non seulement pour ce film mais pour tout ce que j'ai fait jusque-là. Aucun film ne m'a davantage marqué que Les Parapluies de Cherbourg. J'y suis profondément attaché. »

(Damien Chazelle)

THÉ PAS DANSANT !

Et Damien, il l’aime follement cette mégalopole en forme de miroir aux alouettes, il la sublime, il la filme en décors naturels pour mieux lui donner un aspect irréel, il la fait exploser de couleurs insensément intenses qui ne sont pas sans rappeler les toiles de David Hockney ou du fauviste Raoul Dufy.


Techniquement, La La Land impressionne et offre des mouvements d’appareil magnifiques. N’oublions jamais que si le cinéma est l’art du mouvement (du grec kinêma, comme dirait Mikeline), la comédie musicale devrait en être le genre roi. Le film s’ouvre ainsi sur un premier tour de force, une démonstration de virtuosité où la caméra virevoltante semble s’affranchir des lois de la pesanteur et qui à, elle seule, mérite le déplacement, un plan-séquence renversant de près de six minutes (déjà parodié par Jimmy Fallon sur le tapis rouge de la dernière cérémonie des Golden Globes). Une scène, tournée en à peine un weekend, qui a nécessité trois mois de répétition et une logistique de dingue (fermeture de l’échangeur autoroutier surplombant le centre-ville de Los Angeles) d’autant que, le film ayant été tourné en 35 millimètres anamorphique, l’équipe ne disposait que d’une autonomie de dix minutes avant de devoir recharger le magasin de pellicule Kodak de la caméra Panavision.

La La Land version Golden Globes...

Autre prouesse : le montage final, dont on ne vous dira bien évidemment rien, mais qui est un pur moment de grâce, d’une tristesse et d’une cruauté magnifiques, brassant en l’espace de quelques minutes et à tout jamais, blessures, souvenirs, espoirs, renoncements, remords et regrets.

THÉ PAS DANSANT !

« Si le style de Whiplash peut être défini comme géométrique, La La Land est, lui, tout en courbes. Le cinéaste qui m'a inspiré est Max Ophüls, maître des mouvements de caméra. On aimerait tous créer des mouvements d'appareil comme Ophüls, et bien entendu il a su le faire avant l'apparition du Steadicam. Notre objectif, c'était que la caméra soit semblable à un danseur, tout en fluidité, qui ne gêne jamais les pas de danse des comédiens mais qui s'intègre néanmoins à la chorégraphie. Dans Raging Bull, Scorsese se demande ce qui se passe si on place la caméra au centre du ring. De même, je voulais installer la caméra parmi les danseurs afin qu'on ait l'impression qu'elle se déploie tout autour d'eux. »

(Damien Chazelle)

THÉ PAS DANSANT !

Au  casting ? Se trouvent ici réunis pour la troisième fois, après l’excellent Crazy Stupid Love (2011) et le… divertissant Gangster Squad (2013), Ryan Gosling (bien au-dessus de ses mutiques performances habituelles) et Emma Stone (toujours impeccable), remplaçant Miles Teller et Emma Watson, choisis initialement. Si l’alchimie amoureuse est bien présente, on ne peut que regretter que, sans doute par souci de bien marketer le film, l’on ait opté pour des acteurs qui ne savent pas danser (et pas chanter pour l’un des deux) et qui, par conséquent, se contentent systématiquement de marcher en rythme, à mille lieues des couples mythiques formés par Fred Astaire et Ginger Rogers ou Gene Kelly et Cyd Charisse. D’ailleurs la danse toute entière est malheureusement la grande absente de ce film.

THÉ PAS DANSANT !

Concevoir une bonne comédie musicale suppose de réunir harmonieusement entrain, légèreté, ballets gracieux et acteurs impeccables. Ici, tout semble là : les amoureux éperdus, les jolies mélodies (sans doute trop peu diversifiées), les décors en carton-pâte, les ombres chinoises, le bleu, le jaune, le rouge, le vert des décapotables vintages et des robes virevoltantes. Mais, la comédie musicale est un exercice de très haute précision qui ne tolère pas l’approximation, un exercice dans lequel tout paraît spontané alors que chaque mouvement, chaque déplacement, chaque geste est millimétré ! Et à vouloir trop en faire, Damien Chazelle essouffle son récit et en égare la rythmique.

THÉ PAS DANSANT !

« How are you gonna be a revolutionary if you’re such a traditionalist ? You hold onto the past, but jazz is about the future !  »

THÉ PAS DANSANT !

Au final, on est bien loin du chef d’œuvre annoncé, sans doute à raison d’une mise en scène parfois trop tapageuse, d’un fétichisme peut être trop exacerbé et surtout d’un manque criant de danses, pourtant indispensables au genre. Demeure une vraie comédie musicale, bourrée de charme et dénuée de tout cynisme. Une méditation lumineuse et parfois déchirante sur la vie, la nature même du spectacle, la solitude de l’artiste et son rapport complexe au monde réel. Un feel-good-movie mélancolique au goût parfois doux-amer mais qui n’égale jamais les gloires ancestrales auxquelles il se réfère. Les grandes heures disparues de la comédie musicale le demeureront…

THÉ PAS DANSANT !
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THÉ PAS DANSANT !

Notons qu’après trois films musicaux, Damien Chazelle changera très prochainement de registre et retrouvera Ryan Gosling pour First Man, sur la vie de l’astronaute Neil Armstrong, premier homme à avoir posé le pied sur la Lune le 21 juillet 1969.

D’ici là, voici nos recommandations, 5 films qui chantent et qui dansent, à voir ou revoir :


1 – TOUT LE MONDE DIT I LOVE YOU (1996) de Woody Allen

 

2 – MY FAIRE LADY (1964) de George Cukor

 

3 – SEXY DANCE 4 : MIAMI HEAT (2012) de Aaron Zigman

 

4 – LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1963) de Jacques Demy

 

5 – CHANTONS SOUS LA PLUIE (1952) de Stanley Donen

 

SEE YOU SPACE COWBOYS...

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