CHOISIR L'OUEST

Publié le par Romos

De l’autre côté du mur (Westen), 2013, Allemagne, réalisé par Christian Schwochow, avec Jördis Triebel (Nelly), Tristan Göbel (Alexeï), Alexander Scheer (Hans), Jacky Ido (John Bird), Anja Antonowicz (Krystina). 

CHOISIR L'OUEST

Le brief : Fin des années 70, quelques années après la mort de son fiancé, Nelly décide de fuir la RDA avec son fils afin de laisser ses souvenirs derrière elle. La jeune femme croit à un nouveau départ de l’autre côté du mur, mais en Occident où elle n’a aucune attache, son passé va la rattraper… La jeune femme va-t-elle enfin réussir à trouver la liberté ?

 

Bande-annonce :

Le débrief : Berlin vient de fêter les 25 ans de la chute du Mur. L’occasion de se rendre au cinéma pour un film qui retrace une partie de la grande Histoire au travers d’un destin individuel, celui de Nelly qui décide de fuir la RDA avec son fils afin d’abandonner de douloureux souvenirs. La jeune femme croit à un nouveau départ. De l’autre côté du mur, un espoir, une volonté de retrouver la liberté et un avenir, celui auquel elle a droit. Mais en RFA où elle n’a aucune attache, son passé va la rattraper et le harcèlement ne fera que débuter.

Poignant, ce film nous propose un nouveau point de vue sur les difficultés que traversaient les candidats au passage de Berlin-Est à Berlin-Ouest. En pleine période de guerre froide, le contexte de la séparation allemande a fait office de terrain de jeu pour les services secrets russes, allemands (ouest et est), américains (représentés par le personnage John Bird), français et anglais. Tous étaient concurrents les uns contre les autres, tous collaboraient entre eux. L’installation d’un état paranoïaque était une condition essentielle à leur mode de fonctionnement.

Berlin était alors fondé sur un mécanisme inspiré d’un univers à la fois Kafkaïen et Orwellien, variant du Procès permanent à la surveillance constante de 1984. « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. » Et gare à toi si tu te défais de ces principes, d’un côté ou de l’autre du mur !  

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Un univers de surveillance

Si l’on croyait que la surveillance policière relevait d’un apanage soviétique, les méthodes utilisées par les services secrets occidentaux étaient les mêmes que ceux de l’Est : susciter la paranoïa et la suspicion afin d’obtenir des faveurs ou des informations, pousser à la faute et enfermer des individus manipulables et influençables dans une prison psychologique en utilisant leurs failles les plus intimes. Marchés de dupes et pactes faustiens sont les réelles motivations des services policiers de la Guerre froide.

Or, le film de Christian Schwochow démontre à quel point un parallélisme, même formel, peut être établi entre le conditionnement policier de Berlin-Est et la manipulation utile dans Berlin-Ouest, dirigée contre tout ressortissant venu de l’Est.

Ces étrangers étaient ferrés par les services secrets, marqués d’un doute sur leurs réelles motivations à traverser la frontière. Le mythe de la recherche de la liberté ne pouvait suffire à justifier une telle prise de risque, qui devait nécessairement cacher un autre dessein, celui d’espionner ou de servir d’agent dormant pour la Stasi, voire le KGB.

Nelly, en traversant le mur, ne pouvait imaginer dans quelle prison psychologique l’administration et l’esprit tortueux de l’époque allaient l’enfermer et face à quel retentissement son passé devrait se confronter, alors qu’elle le croyait enterré pour de bon. Il lui faudra passer des épreuves, et d’abord celle d’obtenir les tampons de l’administration, comme K., dans son Procès, doit obtenir du greffe du tribunal le classement de son dossier auprès de l’instruction.

Son fils, petit Allemand de l’Est, livrera dès son entrée à l’école de l’autre côté du mur, la même lutte pour ne pas être relégué au statut d’intrus et d’étranger dans son propre pays. Ses camarades de jeu n’auront pour lui que moqueries et coups. A l’égard des enfants, le film démontre là encore un parallélisme formel établi entre le conditionnement social de l’Ouest et l’endoctrinement subi à l’Est. Il n’y a qu’un pas de la religion du communisme à l’adhésion à l’eucharistie de l’Ouest. 

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     Se sauver par la tendresse et l’entraide

Mais c’est aussi par l’innocence de l’enfance et son attachement à la tendresse, que la paranoïa pourra disparaître. Le réconfort pour les Allemands de l’Est est, soit de profiter d’une attache à l’Ouest, soit de se retrouver entre eux (Nelly, Hans), afin d’avancer ensemble dans un pays auquel ils appartiennent, mais qui ne leur ressemble pas. La culture de la RDA les a rapprochés des valeurs d’amitié et de fraternité immédiate, très proche d’un esprit quasi-slave (amitié de Nelly et Krystina). Les habitudes, les modes de vie, le sens de l’échange et de la discussion, tout sera différent d’un côté ou de l’autre du mur. Il faut avancer, ne pas se laisser traîner dans la boue, résister à l’enfermement dans lequel certains souhaitent vous installer pour profiter d’une faiblesse. Cette femme est un combat intégral, pour sa vie et celle de son fils.

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Le jeu d’une actrice

Tourné à la façon d’un film d’action de Ridley Scott, alors que l’histoire ne s’y prête pas, le film subit des mouvements rapides de caméra qui ne se justifient pas. L’univers qui est dépeint réclame plus de calme, une respiration plus tranquille afin de comprendre les ressorts de ce nouveau monde, dans lequel Nelly se retrouve enfermée.

Obligée de se justifier, de démontrer par l’absurde sa bonne foi, Nelly est interprétée par une actrice spectaculaire, Jördis Triebel. Simplement, d’un charisme et d’une authenticité dans le jeu, extraordinaires. Son personnage, est attachant et nous fait ressentir au travers de ses sentiments, le spectre des combats d’une femme-mère, admirable.

Intelligent, émouvant, mais sans effusion de bons sentiments, le film échappe au manichéisme trop facile et à la caricature. Il rejoint les films « Good bye Lenin » (2002, Wolfgang Becker), « La vie des autres » (2006, Florian Henckel von Donnersmarck), « Barbara » (2012, Christian Petzold), qui, ensemble, ressortent du même fond historique, mais relèvent chacun d’un registre à chaque fois différent. Saluons avec admiration ce travail de mémoire cinématographique intelligent entrepris par les réalisateurs allemands.

« De l’autre côté du mur » est à voir, non seulement parce qu’il défait en partie les mythes construits par les vainqueurs de la Guerre froide, mais également parce qu’il nous rappelle avec force ce qui pouvait distinguer l’Est et l’Ouest : la faculté de choisir, offerte aux individus à l’Ouest, inexistante à l’Est.  

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See you Space Cowboy…

 

Romos

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L
Excellent article.
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